Carrières créatives : on ose se lancer cette année ?
3 créatifs au parcours original nous racontent comment ils ont tenu bon malgré la covid… Et ils ne regrettent rien !
L’année passée, ponctuée de temps de pause forcée, semble avoir eu un effet paradoxal sur nous. Selon les chiffres alarmants rapportés par Psychologies Magazine, 50% des salariés français sont aujourd’hui en détresse psychologique. Une étude de Santé Publique France ajoute que 21% des français présentent un état dépressif.
Et pourtant, certains font mentir les statistiques et parient sur un avenir incertain. Ils caressent le rêve de vivre de leur passion et tentent leur chance malgré les embûches. Dans un article publié par Welcome To the Jungle, on apprend ainsi que les rêves d’ailleurs n’ont jamais été aussi importants chez les salariés en quête de sens. On y découvre « un marché de la reconversion pris d’assaut » selon les spécialistes.*
Qui sont ces irréductibles heureux qui suivent leur passion dans un climat de déprime et de morosité ? Comment innovent-ils pour se lancer malgré l’adversité ?
Pour vérifier si la créativité ne serait pas le remède miracle contre la sinistrose ambiante, nous avons demandé à 3 profils créatifs détonants de partager avec vous les difficultés, découvertes et envies qu’ils ont traversées. Ils exercent dans des domaines fortement impactés par la crise (spectacle vivant, sport, monde de la nuit, artisanat). Et ils se réadaptent avec inventivité et enthousiasme.
Voici leurs témoignages touchants et optimistes. Oui, l’espoir est permis à ceux qui innovent et rêvent fort et en 2021.
Clara Madec, 36 ans, de la SSII au ukulélé
« L’important est de croire en ce que l’on fait. De se sentir légitime dans son activité, de se sentir à sa place »
Peux tu te présenter ?
J’ai un profil école de commerce. J’ai passé 12 ans en SSII, d’abord en tant que consultante puis ingénieure d'affaires en transformation numérique. Je me suis reconvertie dans une carrière artistique au printemps 2019. Le covid est arrivé pile pendant que ma structure commençait à s’épanouir.
Que fais-tu maintenant ?
Quand je bossais dans le conseil, à côté je faisais du karaté, du ukulélé et j’écrivais des contes. J’ai décidé de faire de mes activités passion mon activité principale. J’ai donc lancé Tempus Ludicari, une structure qui propose des évènements immersifs à la croisée du spectacle vivant et du sport. Deux secteurs assez impactés par la covid (rires)…
La covid est arrivée à un moment importante pour ta structure. Comment as tu composé avec ces circonstances inattendues ?
«En commençant à travailler ma communication digitale, j’ai pu développer une visibilité qui n’existait pas quand je collais juste des affiches. Une journaliste nous a repérés via un marché en ligne et m’a interviewée pour le 20h de TF1.»
As-tu douté de ton activité à la suite de la crise du covid ?
Oui, je participais à des chasses aux trésors géantes dans les villes, ponctuées de comédiens, des sortes de jeux de rôle grandeur nature. Le projet est tombé à l’eau, alors que c’était lui qui assurait une belle partie des revenus pour la structure. Les installations multi sensorielles proposées lors de festivals regroupant des milliers de personnes sont elles aussi tombées à l’eau. Nos ateliers par petits groupes reposaient sur le partage de matériel, papier, crayons… À un moment, je me suis demandé si c’était possible de s’adapter aux contraintes liées au virus.
«Le temps du confinement a été une expérience riche, une sorte de période de R&D artistique. J’ai pu penser et expérimenter de nouveaux projets. Mais c’est sûr qu’il faut avoir les reins solides financièrement pour tenir.»
Regrettes-tu de t’être lancée ?
Non, j’apprends beaucoup plus sur le monde et moi même, je suis bousculée, mais au moins je suis réveillée. Et puis j’étais lassée du secteur informatique. Pour moi la distanciation sociale n’est qu’un ralentissement, les graines lancées essaiment quand même, petit à petit.
«Cette période est anxiogène mais elle est aussi une occasion d’explorer au-delà des routes toutes faites. En sortant de la SSII je savais que j’allais vers un chemin plus sinueux, que j’aurais une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Mais c’est le jeu pour un artiste. Et puis finalement, dans mon malheur, je ne m’en sors pas si mal que ça. »
Si tu avais un conseil à donner à des gens qui hésitent à se lancer ou ont peur ?
L’important est de croire en ce que l’on fait. De se sentir légitime dans son activité, de se sentir à sa place. Si c’est le cas, même avec des nuits blanches et des assiettes de pâtes, on trouve l’énergie d’avancer.
Julien Stefani, 29 ans, l’oiseau de nuit qui remplit les frigos
« Qui ne tente rien n’a rien, alors restez positifs quoi qu’il arrive »
Peux tu te présenter ?
J’ai commencé à travailler à 16 ans en restauration. À l’époque, je trouvais aberrant qu’on préfère gaspiller et jeter les invendus plutôt que de les offrir à des gens qui de toute façon n’ont pas les moyens d’aller au resto. Alors je récupérais secrètement les restes et les distribuais aux personnes à la rue à Saint-Lazare et Châtelet. En rentrant d’un long voyage en Asie, j’ai décidé de me reconvertir. Je me suis dit, l’essentiel c’est de se lancer, que ça ne marche ou pas.
Que fais-tu ?
J’ai fondé une association qui s’appelle L’Esprit Léger. On organise des fêtes indépendantes avec un caractère engagé et positif. La scéno est composée pour moitié de matériaux de récupération. Une partie des fonds issue des ventes de la billetterie finance des projets sociaux. Au début, on gérait un frigo coopératif au Rev Café (ndlr: un café coopératif dans le 93). Notre frigo permettait à n’importe qui de se servir gratuitement en nourriture. On lui avait aussi ajouté un système de bacs à bouchons en soutien à l’association Des Bouchons d’Amour ainsi qu’une mini bibliothèque partagée pour une culture gratuite. En fait, on avait transformé le frigo en objet social.
On a lancé la fête Room Garden où les participants devaient ramener de la nourriture à destination du frigo coopératif et d’associations partenaires. On faisait un Couscous Solidaire à Montreuil une fois par mois, où tout le monde pouvait payer en fonction de ses moyens, sans aucun prix fixe. Et on avait une résidence mensuelle au 6B (ndlr: un collectif d’artistes et lieu d’exposition à Saint-Denis).
La covid a-t-elle transformé ton activité ?
Oui, car avec la covid, toutes nos fêtes ont été annulées l’année dernière. Or sans ces fêtes, on n’a pas gagné les fonds prévus pour ouvrir les nouveaux frigos coopératifs. Chaque frigo coûte 900 euros et on voulait en lancer 4 en 2020 pour développer un vrai réseau de distribution de nourriture gratuite à Paris et en banlieue.
À la place des frigos, va lancer des maraudes en Février. On a aussi soutenu des associations avec une trentaine de collectifs parisiens, des Restos du Coeur à la S.P.A en passant par Halte Aide Femmes Battues. On voulait mettre en avant les personnes qui avaient le plus besoin d’aide pendant le confinement. On a dû recentrer nos projets vers du social plus que sur de l’évènementiel avec le Musicalifestival.
«Les projets solidaires ne tournent que grâce à l’argent qu’on avait réussi à mettre de côté, l’équivalent de 1 an de fonds de roulement. Mes réflexes acquis après ma licence en gestion des entreprises…»
As-tu douté de ton activité à la suite de la crise du covid ?
Je suis hyper optimiste dans la vie, alors je dirais oui mais non. Aujourd’hui je ne suis pas salarié heureusement, je ne me rémunère pas donc l’association peut survivre avec moins de revenus. Je n’ai jamais envisagé d’arrêter. J’ai un toit, je ne suis pas à plaindre. Je continue de voir le verre à moitié plein.
«La plupart des gens imaginent une vie de fête, mais la réalité c’est un quotidien compliqué. Quand ils découvrent que je suis au RSA et que je suis retourné vivre chez mes parents, ils réalisent que ce n’est pas une vie de rêve.»
Regrettes-tu de t’être lancé ?
J’ai mis pas mal de fonds propres dans ce projet, et c’est dur de me retrouver au RSA à 29 ans. Ce sont des sacrifices dont peu de gens se rendent compte. Je vais devoir repousser le moment où je pourrai me rémunérer sur l’association. Mais je m’estime heureux, je vis en France, j’ai eu une éducation gratuite, j’ai un accès à la santé, c’est déjà énorme. Je suis aussi content de m’être lancé dans un milieu avec des bonnes vibes et des gens très ouverts d’esprit.
Si tu avais un conseil à donner à des gens qui hésitent à se lancer ou ont peur ?
Bien s’entourer. Préparer son projet en amont. Mais garder en tête que tout peut arriver…
Qui ne tente rien n’a rien, alors restez positifs quoi qu’il arrive.
Bérangère Pivot, 28 ans
«Je me suis fondue dans mes dessins et mon boulot. La covid m’a permis d’être tout autant créative»
Peux tu te présenter ?
J’ai appris la couture en Thaïlande à 20 ans où j’étais partie faire un stage tombé à l’eau. J’ai rencontrée une femme sur un marché et elle a décidé de m’apprendre à coudre. De retour en France j’ai fait mes armes à l’Opéra de Paris après une formation de costumière à La Martinière de Lyon.
Que fais-tu maintenant ?
J’ai monté une entreprise avec un ami qui propose de la lingerie. On s’est lancés en Mars 2020. On prend le contrepied de la vente sur internet en proposant à nos clientes de venir nous rencontrer dans des chambres d’hôtel en journée. Je leur présente la collection, elles choisissent les pièces puis je prends leurs mensurations pour réaliser des pièces sur mesure. Plus qu’une innovation, c’est un retour aux sources de la lingerie et du travail du corsetier.
Tu t’es lancée dans une période difficile…
On s’est posé la question avec mon associé de savoir si c’était la bonne période, mais on avait déjà embrayé la machine. On savait que ce n’était pas le moment idéal, mais que c’était aussi le moment ou jamais. A cette période, j’ai réalisé que j’allais sans doute perdre mon statut d’intermittente avec la mise à l’arrêt des théâtres. Plutôt que de larmoyer dans mon coin, j’ai ressenti l’envie de franchir un nouveau cap et de devenir entrepreneure. Ça aura quand même été difficile avec les fournisseurs, on a perdu pas mal de temps.
«Mon père a lancé sa boîte tardivement, à plus de 50 ans, et il m’a beaucoup poussé en me disant que quand on a plus rien à perdre, autant y aller franco.»
As-tu par moment douté de ton choix ?
Être créatif, c’est être baigné de doutes. Ces doutes peuvent être une vraie chance dans cette période, car ils me permettent en tant qu’artisan de développer une forme de perfectionnisme, un soin dans la création.
«Le doute, c’est aussi un gage d’amélioration !»
Penses tu que le fait d’avoir un profil créatif donne du courage dans cette période là ?
Oui ! En tant qu’intermittente, j’avais l’habitude des périodes de stand bye, des périodes creuses. C’est une vraie chance de savoir prendre le temps. Moi, le confinement ne m’a pas bouleversée plus que ça, parce que quand j’ai un temps pour moi, je sais le mettre à profit. L’intermittence m’a permis de m’habituer à ce type de situation, à ne pas la dramatiser.
«Je me suis fondue dans mes dessins et mon boulot. La covid m’a permis d’être tout autant créative, plus concentrée même. »
Passer de l’intermittence à la gestion d’une entreprise, sacré changement pour la période…
Oui ! Avant, quand j’étais intermittente, je travaillais en squat, et j’avais quitté ce monde car il ne me semblait pas adapté à mon envie de développer ma boite.
En passant à une SAS, j’ai l’impression d’avoir changé de milieu. Maintenant je loue un atelier. Entre intermittente et cheffe d’entreprise les codes changent à nouveau, je dois gérer des prévisions de CA, du commercial, de la compta… C’est tout un monde qui s’ouvre pour moi.
Je me rassure en me disant que Vivienne Westwood était aussi sacrément punk et alternative. Et que cela ne l’a pas empêché d’avoir la carrière qu’on lui connaît.
Si tu avais un conseil à donner à des gens qui hésitent à se lancer ou ont peur ?
On a été incubé chez Jean Luc François, un atelier associatif de mode. J’ai été surprise de voir le nombre de gens qui travaillaient seuls.
Alliez-vous avec d’autres personnes. Nous sommes nombreux à être en manque de cet élan créatif, et quand on travaille ensemble, on donne tort à la morosité.
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