Rappelez vous, il y a quelques années déjà… Snapchat cartonnait et capturait l’audience des 18-24 avec ses filtres en réalité augmentée. Les adolescents jouaient à se transformer en tête de chien géante, fantômes gores ou héros Disney. Et avouez-le, vous trouviez la réalité augmentée bizarre, étrange, drôle peut-être, certainement kitsch. 

 

En 2021, on ne rigole plus avec la réalité augmentée (AR). Instagram a triomphé sur Snapchat. Exit les oreilles de Mickey, le filtre de réalité augmenté est devenu créatif, beau, un véritable marqueur d’identité. Tantôt outil pratique pour une peau virtuellement impeccable, tantôt objet d’art hybride et appropriable, le filtre devient le masque totémique de la génération digital native. 

 

Le secteur des cosmétiques vit aussi une transformation majeure, liée au rôle prescripteur croissant des influenceurs beauté. Les makeups artists livrent des conseils et créations de maquillage de haut niveau à leurs audiences. Les consommatrices deviennent expertes et explorent des tendances auparavant réservées aux shoots photos des magazines de luxe. 

 

Les marques de cosmétiques ne s’y trompent d’ailleurs pas et suivent de très près ces deux tendances. Elles perçoivent le lien entre le maquillage made in instagram et les filtres. Les frontières entre les deux phénomènes sont poreuses. Filtre et maquillage se nourrissent créativement et définissent les nouvelles modalités d’expression de soi pour une génération entière. 

 

Nous avons interrogé des créatifs au cœur de cette tendance pour ouvrir le débat. Trois make-up artists de la génération instagram et deux créatrices de filtre de réalité augmentée discutent de leur vision du futur.

Episode 1: L’avis des make-up artists

Trois make-ups artists rencontrés sur instagram ont accepté de répondre à nos questions. 

Cédric Lanappe est make-up artist officiel d’un acteur français du luxe. Très suivi sur instagram où il partage son quotidien flamboyant, il est devenu un influenceur français de premier plan dans l’univers du maquillage. 

Monica Bibalou s’est donnée pour mission de sublimer les femmes avec le maquillage en créant sa propre méthode. Vous l’avez peut-être vue dans l’émission Les Reines du Shopping où elle maquille et conseille les candidates, ou sur instagram où elle réalise des vidéos pointues. 

Alexandra Chaix est une jeune maquilleuse freelance qui se lance après sa formation à la Make Up Forever Academy.

 

Les filtres de réalité augmentée changent-ils nos attentes en matière de maquillage ?

 

Pour Monica, le constat est sans équivoque. « Oui ! Pour la nouvelle génération, il faut que le teint soit lisse, que les imperfections soient cachées, qu’il y ait une belle luminosité sur le visage, des ajouts de faux-cils, que le visage soit contouré. Il faut que leur image soit sculptée de plus en plus. La nouvelle génération a plus de mal à accepter le nude, le naturel, le vrai ».

 

Alexandra abonde en ce sens « Pour moi, les filtres beauté qu’on trouve sur insta permettent de se sentir jolie, de flouter le teint, d’agrandir les yeux, amincir les traits, parfois affiner le nez, grossir la bouche… Des fois c’est subtil mais en fait ça change tout le visage. Cela va permettre à certaines personnes de se sentir jolies le temps d’une story ». Elle nous met en garde: « Certaines personnes qui sont accros à ces filtres-là se créent un personnage fictif dédié aux réseaux sociaux ».

 

Cédric lui perçoit le filtre plutôt comme un atout complémentaire au make up. « L’univers des filtres va venir ajouter un petit truc en plus. Pas mal de marques aujourd’hui proposent de tester des fards à paupière, le rouge à lèvres, les glitters etc… Je trouve ça hyper intéressant. Mais l’ordinateur, la machine, le processus ne vont pas pouvoir identifier la personnalité, la morphologie. Ça c’est vraiment le job du make up artist.”

 

Quel est l’impact des filtres IRL (in real life: dans la réalité non virtuelle) ?

 

Cédric insiste sur le caractère émancipateur du filtre « Je pense que les filtres ont vraiment aidé certaines personnalités réservées à se dévoiler, à s’assumer, à oser de la couleur. Je pense que les filtres vont vraiment révéler une partie d’une personnalité qu’on a souvent peur de dévoiler ».

 

Alexandra nous met en garde contre des dérives: « On entend de plus en plus parler de jeunes filles, femmes, qui vont voir leur chirurgien avec une photo d’elle avec un filtre et disent voilà, je veux ressembler à ça. Ce n’est pas possible, ça fausse la réalité. L’aspect de la beauté qu’on peut avoir (avec un filtre) n’est pas atteignable en fait ».

 

Cédric continue de voir un côté positif, ici dans son travail quotidien « Je pense que les filtres vont vraiment nous aider à venir arrondir les angles, à donner un côté beaucoup plus soft, beaucoup plus doux, et va venir finir le maquillage. Ça va nous permettre d’avoir un effet plus lisse, plus clean. Mais quand les mannequins vont se regarder dans le miroir, l’effet ne sera pas comme celui du filtre. Du coup je pense que c’est important d’avoir les deux, pour vraiment travailler ensemble et avoir de bons résultats ».

 

Monica ne se sent pas menacée par les filtres et mise sur son expertise. « Ça fait dix ans que je travaille dans l’industrie de la mode et de la beauté. Je sais ce que j’aime. Je sais comment mettre en valeur les traits d’une personne. Je sais quelle couleur apporter pour que wow, on en prenne plein les yeux. Je n’ai pas besoin d’ajouter des filtres pour avoir ce rendu-là, bien au contraire. Je me fais mes petites mixtures avec mes produits cosmétiques, et le résultat est là, même sans filtre. »

Insensible aux filtres, Monica ? Pas du tout « Il m’arrive de m’amuser vraiment avec des filtres créés par des consoeurs. Ça nous permet d’imaginer d’autres choses qu’on pourrait mettre en place dans nos books, dans notre vie, pour le temps d’une soirée, pour Halloween. Ça nous permet de travailler notre imagination. Donc c’est vraiment très très cool pour moi. »

 

Vous l’aurez compris, pour la nouvelle garde du make up, le filtre de réalité augmenté n’est pas une menace, bien au contraire. Il sert de source d’inspiration ou est complémentaire du travail d’un maquilleur professionnel. 

Mais qu’en pensent les créatrices de filtre ?

Découvrez-le en vidéo dans le second volet de notre enquête diffusé Samedi 22/01 sur notre compte instagram officiel ou bien dans un prochain article à venir sur notre site.