Parler franglish or not, so insupportable… Mais pourquoi on continue ?
Notre aveu coupable. Yes, on le fait aussi sorry mais à cause du boulot.
Le franglish s’impose de plus en plus dans nos échanges. Il est de bon ton dans nos contrées gauloises de railler celui qui pratique le mélange des langues. De soupirer quand on vous demande de caler un call sur Meet pour SWOTer le process de reporting, asap évidemment. De lever les yeux au ciel quand le stagiaire est sorry mais trop busy à jouer à Animal Crossing avec le Lead Dev pour aller vous chercher un white mocca post lunch. Oui, que celui qui n'a jamais été irrité par un excès de zèle anglophile nous jette la première pierre. Et que celui qui n'a jamais usé du franglais le suive…
God save le français
La première explication évidente à notre allergie au franglish tiendrait à notre volonté de vouloir protéger notre langue. L'Académie française se dit ainsi “gravement préoccupée” par “l’invasion des termes anglo-saxons”. Aux armes citoyens, sortez vos courriels et vos mots-dièse ! Ou bien l'Académie française n'aurait-elle pas des tendances légèrement drama queen ?
Une experte de l’autre côté de l’Atlantique semble moins inquiète. En effet, pour Shana Poplack, professeure titulaire de la Chaire de recherche en linguistique à l'Université d'Ottawa, le franglais ne met pas en péril la structure de la langue française. Son étude a porté sur plus de 43 000 phrases issues de l'enregistrement des conversations de 500 canadiens bilingues. Elle a pu démontrer que l'insertion de mots tamouls dans des conversations tenues en anglais, de mots arabes dans des conversations tenues en français ou de mots anglais dans des conversations tenues en français ne modifiait pas l'intégrité de la langue réceptrice. Mais aussi que l'usage de mots en une langue étrangère ne témoignait absolument pas d'une maîtrise moindre du français. De plus, son laboratoire de sociolinguistique a pu déterminer que l'usage de l'anglais par des francophones n'avait pas modifié le français canadien. Cocor-okay ! La langue française ne va pas mourir. On peut a priori chiller en toute bonne conscience.
Paris Montréal même combat ?
Portés par ces découvertes au pays du sirop d'érable, nous avons décidé d'interroger Eric, cadre dans la comm franco-canadien, sur sa perception du franglish parisien. Il se lâche, sous couvert d'anonymat:
" Au Québec, on francise beaucoup plus les mots anglais, mais on saute du français à l'anglais à tout moment, avec le bon accent par contre."
Lorsque nous lui demandons ce qui cloche alors avec notre accent, il nous achève :
"Je trouve que les parisiens ne savent pas ce qu'ils font car ils parlent plutôt mal anglais. Ça donne un mélange souvent ridicule, surtout quand ils prononcent un mot anglais avec leur accent français très fort. J'ai l'impression parfois qu'ils utilisent les mots anglais pour se donner de l'importance, pour rendre plus pro un discours vide".
Aïe ! Uppercut suivi d'un KO. Il faut avouer que si 90% des français avouaient pratiquer le franglais dans une étude de 2016, ils n'ont pas les facilités linguistiques de leurs cousins du Québec. Ainsi, dans une autre étude annuelle réalisée par Education First, les français terminent invariablement parmi les derniers de la classe en anglais au sein de l'UE. Et si pour nous faire un peu de bien, on changeait de perspective en se disant qu'au fond, le franglish fait partie de notre processus d'apprentissage de l'anglais ? Peut-être qu'en réalité, 90% de nos concitoyens essaient de parler anglais à leur façon. Chacun son niveau, n'en déplaise aux québécois avec leur accent parfait.
Le franglish au travail, on se comprend ?
D'accord, le franglish au travail est à bien doser. Trop l'utiliser peut complexifier les échanges au sein des équipes. Déjà, la transversalité des équipes en mode projet provoque des incompréhensions car chacun arrive avec un domaine d'expertise qui a son propre jargon. D'accord, un graphiste ne parle pas la même langue qu'un creative coder ou un marketeur et c'est bien normal. Mais selon une étude scientifique publiée ici, l'utilisation accrue du jargon dans le monde professionnel serait inversement proportionnelle au niveau hiérarchique occupé par son locuteur.
Oui, il est scientifiquement prouvé que chacun essaie de se donner de l'importance en multipliant les termes alambiqués. Ajoutez une dose de franglish pour un remake de la Tour de Babel à la Défense ? Certains grands groupes vont plus loin encore et imposent l'anglais dans l'ensemble de leurs échanges.
Qui n'a jamais entendu un.e ami.e fâché.e avec l'anglais raconter pendant un afterwork son environnement 100% anglophone dans un grand groupe de la cosmétique à Clichy ? Le choix peut sembler radical. Mais pour attirer des talents internationaux et coordonner des équipes présentes partout, il fait sens pour un géant international. Le 100% anglais peut donc être pertinent.
Aux origines du franglish au bureau
Mais pourquoi ces mots franglish nous viennent-ils en tête arrivés sur Zoom ou au bureau dans une entreprise francophone ? Sommes-nous élitistes inconsciemment ? Essayons-nous de jouer aux plus malins en hybridant la langue de Rimbaud et celle de Plath ? Ne devrions-nous pas dire goodbye au franglish ?
Rassurez-vous, vous n'êtes pas seul.e ni possédé.e. En réalité, le franglish est un signe du triomphe technologique américain et de sa business culture. Les géants tech américains nous fournissent des outils. Ces derniers sont marqués par une langue, l'anglais, et comme chaque outil ils modèlent un peu ceux qui les utilisent.
Oui, on s'américanise au travail à la sauce californienne. On recherche des CTO, des devs, des COO, et même les grands groupes se rêvent sémantiquement en start-ups san-franciscaines (voir un très bon lexique ici). Le management de la performance s'appelle ainsi car son créateur, Aubrey Daniels, vient de Caroline du Sud, pas des Pyrénées Atlantiques. L'iPhone a été inventé par Steve Jobs à Cupertino, pas Cambrai. Alors oui, des mots anglais pour désigner des inventions et des idées anglaises s'immiscent dans nos échanges au bureau.
On n'a pas encore le réflexe de demander un avis à l'Académie française sur la francisation de Google Drive (Lunettes-Disque ?). Affirmons le haut et fort aujourd'hui, personne n'est coupable d'utiliser une petite dose de franglish dans le nouveau monde qui a émergé depuis la sortie de l'iPhone. Il est aussi légitime pour un inventeur de nommer son invention, pour un artiste de nommer son oeuvre, et il a le droit de le faire dans sa langue.
Demain, le frandarin ou l’argot malien ?
Si les technologies nous imposent leur langue d'origine, il devient possible de dresser des pronostics linguistiques. La grande tendance actuelle est à l'adoption de produits et services technologiques chinois. Qui savait prononcer Huawei ou Xiaomi il y a encore 3 ans ? Faut-il inventer un mot, le frandarin à tout hasard, pour désigner une future hybridation du mandarin et du français ?
Restons un peu sceptiques, les sonorités très différentes de nos langues ne semblent pas fertiles à un mélange ici. Jusqu'à preuve du contraire, Sony ou Samsung n'ont pas réussi à nous mettre au japonais ou au coréen. Un pronostic moins hasardeux serait celui de l'hybridation du français avec ses déclinaisons dans l'Afrique francophone.
Les Deezers de nos adolescentes chantent leur quête de l'amour dans un nouveau mélange linguistique. La go a ainsi cherché à troquer son djadja pour un bon djo en boucle cette année sur nos ondes. Aya Nakamura, artiste francophone la plus écoutée au monde, hybride un français de banlieue parisienne avec l'argot du Mali. Elle subit d'ailleurs les foudres de certains compatriotes crispés autant qu’elle suscite la passion chez les plus jeunes. Anecdote ou signe des temps ?
Selon les projections de l'Observatoire de la Francophonie, nous serons plus d'un milliard à parler français en 2065 contre 475 millions aujourd'hui, et le triomphe de la langue française aura lieu en Afrique. Partagez cette étude à votre collègue fan de Finkielkraut, puriste de la langue et obsédé par son effondrement. Dites-lui la chance formidable qu'elle représente pour nos entreprises si elles apprennent à parler à ces nouveaux locuteurs. La communication francophone demain aura des accents africains.
L'avis partial de OFF-WORKS
Oui, comme tous les français nous aimerions du fond du cœur que la terre entière apprenne notre langue. Comme tous les français dans l'innovation et la communication, on aimerait que la créativité française irradie le monde. C'est parfois le cas, d'ailleurs assez souvent le cas pour un pays de 65 millions d'habitants, mais pas tout le temps.
Certains jours les anglais, les américains et les chinois ont aussi des innovations pertinentes qui arrivent chez nous et emportent avec elles un peu de leur culture. Patience, la tech africaine arrive aussi et assurera la revanche de notre langue. La bouillonnante French Tech n’a pas dit son dernier mot. On prend une respiration profonde, on accepte la coexistence des influences culturelles diverses, leur impact scientifiquement prouvé sans danger sur notre magnifique langue. Oui, si le français n'est pas menacé, l'heure est venue pour un peu de bienveillance linguistique. Avec l'anglais, le franglish, mais rêvons un peu, aussi au sein même de notre langue.
Et si plus personne ne se moquait des accents qu'ils viennent de Marseille, de Corse, d’Agen, de Picardie ou d'Afrique ? Si chacun apprenait à pardonner au collègue qui fait quelques fautes dans un e-mail en se disant qu'après tout, l'Académie française n'espionne pas nos courriels ? Et si on acceptait que les évolutions de notre langue étaient avant tout le signe de sa vivacité ? Mais surtout n'oubliez pas. L'abus de franglish est mauvais pour la santé et le travail d'équipe. A consommer donc avec modération.
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